Édito #3
Ce troisième numéro des Cahiers du réel vient nourrir par quelques textes personnels, commandés pour l’occasion, la programmation hors compétition de la 43e édition de Cinéma du réel. Une manière à la fois de rendre compte de l’expérience du cinéma et d’en partager les réflexions qu’elle suscite. Comme pour les numéros précédents, ces textes tracent des tangentes au festival, avec cette idée qui nous est chère que rien est figé et qu’il s’agit d’entretenir une pensée en mouvement autour du cinéma documentaire, du travail des cinéastes et de notre appréhension du monde à travers le cinéma.
La 43e édition de Cinéma du réel concentrait sa programmation hors compétition autour de l’œuvre de Pierre Creton, une proposition à arpenter à ses côtés son territoire familier dont les frontières cinématographiques se sont élargies par cercles concentriques avec le temps. « Dans une étreinte, dans l’incessant bourdonnement du monde, embrasser le lointain et le proche, le vivant » cette phrase en exergue de l’installation créé pour l’occasion par Pierre Creton et son compagnon Vincent Barré invitait à la bienveillance et en période de pandémie l’intégrale de ses films s’est transformée en une grande bouffée d’air, mais peut-être aussi une invitation au déconfinement voire au couvre-feu buissonnier. Caroline Zeau, historienne du cinéma, rend compte de cette traversée dans un texte « Eloge du film Cyborg » qui révèle à notre regard la dimension révolutionnaire du cinéma de Pierre Creton au-delà même de la singularité de sa pratique de cinéaste où vivre et faire se confondent, où la pensée créatrice et le travail de la terre se mêlent. Une singularité partagée par d’autres cinéastes qui en choisissant la campagne comme lieu de vie et de cinéma, ont fait de leur cadre quotidien l’atelier où exercer leur art. C’est, en partie, à partir de la thèse de Becca Voelcker que s’est élaborée cette programmation Cinéaste en son jardin. Becca qui en retour nous propose sa réflexion sur « Le land cinéma comme certificat de vie ». Au cœur de cette programmation, le travail de Rose Lowder dont le texte de Vincent Sorel « Rose Lowder et sa caméra agricole » documente au plus près la technique de l’artiste et prolonge ainsi l’entretien qui a suivi la projection pendant le festival de quelques uns de ses films emblématiques.
Chaque année, la programmation Front(s) Populaire (s) porte les débats de société qui nous animent au moment même où le festival se déroule, au moment où il se pense. En Novembre 2020, l’état d’urgence sanitaire est en vigueur. Nous sommes confinés, le télétravail est de rigueur et seuls les lieux de consommation courante nous permettent de nous côtoyer encore entre voisins, collègues, connaissances. Dans ce moment où notre liberté et notre libre arbitre est restreints sous pretexte de crise sanitaire, c’est autour de la question « A quoi servent les citoyens ? » que nous choisissons de construire une programmation qui rende compte de modes d’actions directes qui infléchissent les conséquences des décisions prises par d’autres. Dans ce même moment où il ne s’agirait plus pour chacun que de produire et de consommer, le gouvernement français choisit de faire adopter la loi dite « sécurité globale » qui vient accroître les dispositifs de contrôle et de surveillance en cours dans notre démocratie.
Cette loi qui ajoute de la violence judiciaire à la violence policière marque un moment charnière pour notre société. Elle est symptomatique d’un changement de registre législatif, policier, sociétal, et remet en question le cadre dans lequel évolue le citoyen et travaille le cinéaste. Et si on peut observer que des mobilisations se créent autour des images, on observe également un fort durcissement contre celles-ci, – contre les images et aussi contre les mobilisations – Sans doute est-ce le moment de s’interroger à nouveau : qui filme qui ? Pour qui ? Au nom de quoi ? Quelle peut être la place de l’image dans notre société quand l’utilisation de l’image par les dominants croît encore et encore ? Quelles autres images peut-on leur opposer ? Comment les images du peuple peuvent-elles parvenir à s’imposer face aux images du pouvoir ?
Ces questions ont été au centre de la discussion entre cinéastes qui a eu lieu durant cette 43e édition du festival Cinéma du réel ; Sous le même titre « La loi sécurité globale et nous », nous avons proposé à certains de nos invités et de nos amis de prolonger le débat pour ce Cahier du réel #3.