Adnan Being and Time

Un portrait expressionniste d’Etel Adnan, immergée dans son art et dans le monde. Travaillant sans ego, Adnan s’interroge sur ce que signifie être en vie, vivre une catastrophe, expérimenter le temps.

Le portrait que Marie Valentine Regan consacre à l’immense Etel Adnan commence, modestement, comme une visite : l’artiste accueille la cinéaste au seuil de son appartement, vaque à ses occupations ; on la retrouve assise à son bureau pour peindre trois arbres en presque autant de coups de couteaux. Elle aussi revisite des motifs, comme on rend visite à des êtres chers. Car visiter veut dire voir, et voir souvent ; être, ou percevoir, dans le temps. Quand un journaliste lui demanda quelle était la personne la plus importante qu’elle ait jamais rencontrée, Adnan répondit fameusement : une montagne. On l’entend dans le film reprendre cette anecdote issue de Voyage au Mont Tamalpais, grand livre en prose et dessins sur ces hauteurs californiennes qu’elle aimait fréquenter et qu’elle en vint à tenir pour le centre même de son être. Lorsque Regan la filme à Paris ou dans son appartement d’Erquy en Bretagne durant la dernière décennie d’une vie riche et imposante, son état de santé ne lui permet plus de rentrer aux États-Unis. Elle se charge alors de lui en rapporter des images. Adnan y reconnait les reliefs, les couleurs, la brume du matin, le jaune pâle de la fin septembre, et pour elle, un film rien que sur cette montagne suffit à rêver. Le portrait se mue en film de paysage, la visite au Mont Adnan en voyage à Tamalpais. Peu à peu, le film donne chair à cette question de la perception qui constituait la grande affaire de son art et de son écriture ; une affaire qu’elle expliqua avec les mots de son amie Ann Rice O’Hanlon : « percevoir c’est être en train de devenir un avec ce qui est, tout en s’en séparant ».

Antoine Thirion