Destin des images vernaculaires
Le 6 octobre 1960, dans son Movie Journal, Jonas Mekas écrit : « les films seront bientôt aussi faciles à réaliser que les poèmes écrits et presque aussi bon marché. Ils seront réalisés partout et par tout le monde. Les empires du professionnalisme et des gros budgets s’effritent. »
La diminution continue du coût de fabrication des images animées porte en elle la démocratisation intégrale de la pratique filmique. A l’époque de l’argentique, le format 8 mm s’est imposé comme celui du cinéma domestique. Aujourd’hui, les caméras numériques ont envahi le quotidien et sont devenues des objets banals. Les images amateures représentent une masse incommensurable, un continent englouti et qui ne cesse de croître.
Plusieurs chercheurs ont proposé de regrouper ce corpus infini sous le titre générique de cinéma « vernaculaire », terme qui correspond, pour le cinéaste Peter Snowdon, à « la mise en commun de ce qu’il y a d’unique et fragile en chacun de nous ». Car la nature première de ce phénomène est d’être une œuvre absolument anonyme, donc forcément collective : l’émanation matérielle d’un espace-temps, infra et situé, vécu et restitué.
Tracer et conserver les images vernaculaires, malgré le gigantisme d’une telle tâche, n’a jamais semblé aussi légitime et de nombreuses associations ou institutions, souvent à l’échelle territoriale, poursuivent ce travail d’archivage et de mise en valeur. L’enjeu est aussi bien scientifique que politique : prendre soin de ces fragments amateurs consiste, aussi, à faire vivre les mémoires individuelles contre les grands récits officiels et structurants.
Plusieurs cinéastes et artistes se sont régulièrement confrontées à ce corpus pour les réemployer et produire des œuvres composites, réflexives ou poétiques, que les images soient rendues brutes, intactes (Journal d’Amérique / Poussières d’Amérique d’Arnaud des Pallières) ou altérées, ralenties, disséquées (Images d’orient – Tourisme vandale de Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi).
Ce jeu d’échelle fait écho à la place dévolue à la pratique vernaculaire dans l’histoire longue du cinéma. Quel statut faut-il accorder aux images amateures ? Le processus de restauration est-il de même nature que celui appliqué à des films dont la dimension artistique est avérée ou revendiquée ?
Modération : Antoine Guillot – journaliste et producteur – France Culture
Intervenants invités :
- Bojina Panayotova
— réalisatrice, Je vois rouge (2017), L’Immeuble des braves (2019)
En résidence à la Villa Albertine, dans le cadre du programme “10 in America”. - Olivier Sarrazin
— réalisateur, membre d’Archipop, collections d’archives privées en Région Hauts de France - Francesca Bozzano
— directrice des collections, Cinémathèque de Toulouse, coordinatrice du programme Mémoires Filmiques, partagé avec l’Institut Jean Vigo (Perpignan), la Filmoteca de Catalunya (Barcelone) et l’Arxiu del So i de la imatge (Majorque) - Sébastien Ronceray
— auteur, enseignant, co-foundateur des associations Braquage et L’inversible, initiateur du Home Movie Day Paris