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Édito #6

Par Catherine Bizern

La 46e édition de Cinéma du réel s’est construite et s’est déroulée tandis que les bombes détruisaient Gaza et que nous nous posions de façon extrêmement douloureuse la double question Que faire et que peut le cinéma au XXIe siècle ? Question qui exprimait notre désarroi à être là, impuissants, face à la répression des plus faibles, face à la violence et à l’horreur guerrière. Le texte d’Alexia Roux et Saad Chakali « Préoccupation Palestine » vient formidablement approfondir la réflexion que nous avons tenté d’amorcer avec la discussion rassemblant Mohamad Yaqebi, Avi Mograbi, Elisabeth Perceval, Nicolas Klotz et Marie José Mondzain et venant conclure notre programmation Front(s) populaire(s). 

Nous faisions le vœu d’un festival comme lieu de contre-histoire, je dirais aujourd’hui un lieu pour désapprendre. Désapprendre : ce mot que je retrouve dans une page de Godard où il écrit « l’idéologie bourgeoise et réactionnaire moderne fonctionne en montrant comme réel ce qu’elle produit comme fiction », qui résonne fortement avec cette phrase de Yassin al Hal Saleh, écrivain et essayiste syrien : « nous ne reconnaissons ce qui est caché et absent que si nous nous débarrassons d’un savoir qui cache et absente ».

Désapprendre pour mieux penser, pour repenser… comme nous y a invité le corpus de films nous venant des territoires outre-marins, qui rendent compte de manière flagrante de la persistance coloniale française : 44 jours de Martine Delumeau, L’Homme vertige de Malaury Eloi Paisley, Terla ta nou de Cécile Laveissière et Jean-Marie Pernelle, Sous les feuilles de Florence Lazar. Films auxquels faisaient écho à la fois Dahomey de Mati Diop, Soundtrack to a Coup d’Etat de Johan Grimonprez, qui fait le lien entre le mouvement des droits civiques aux Etats Unis et les luttes d’indépendance en Afrique et Les mots qu’elles eurent un jour de Raphael Pillosio, portrait de femmes algériennes engagées dans la lutte pour l’indépendance de leur pays et éprises de liberté, en 1962. « J’en suis venue à la conclusion que si l’histoire était écrite par les vaincus plutôt que par les vainqueurs, elle mettrait en lumière les moyens réels, plutôt que théoriques, d’exercer le pouvoir ». Cette citation de Maya Deren dans Divine Horsemen: The Living Gods of Haiti (1953) aurait sans doute pu apparaître en exergue de chacun de ces films. Elle est reprise dans le texte de Teresa Castro, « Pour des histoires féministes du cinéma », qui revient sur la manière dont les films de cinéastes femmes et la question de leur expérience politique ont traversé le festival, venant renchérir la rétrospective consacrée à Claudia von Alemann sur laquelle s’arrête le portrait de la cinéaste en détective écrit par Pierre Gras.

Enfin, cette édition de Cinéma du réel a été l’occasion de présenter en première française le film exergue – on documenta 14, film de 14 heures du cinéaste grec Dimitris Athiridis, à la fois thriller documentaire et analyse critique des tenants et aboutissants de la manifestation Documenta. Au-delà de la spécificité de la Documenta, les questionnements, les enjeux défendus par l’équipe de curateurs et leurs contradictions peuvent interpeler chaque responsable d’événement ou de structure culturelle, quelle qu’elle soit. Le texte que Pierre Bal-Blanc, l’un des curateurs de cette documenta 14, écrit dans l’après-coup de la manifestation est un élément supplémentaire à porter au dossier.

Tandis que nous préparons la 47e édition du festival et que partout dans le monde le pire devient fatal, ces quelques textes peuvent peut être nous aider à nous demander où est possible le cinéma et qu’est-ce qu’il nous aide à penser.