“Éteignez, vous êtes l’ONU pour lui”
Ces mots ont été prononcés par un commissaire.
Le commissaire Kouassi. A Abidjan.
Au cours d’un braquage de véhicule qui tourne mal, le propriétaire du véhicule est tué.
C’est un policier de la PJ.
Le commissaire Kouassi est chargé de l’enquête.
Faute de moyens, ses subordonnés arrêtent des suspects à tour de bras et les chicotent (c’est l’expression locale pour signifier: les interrogent brutalement).
Une nuit, Kouassi et ses sbires arrêtent un jeune homme et le suspendent par les pieds à un arbre pour le faire avouer.
Nous filmons depuis des semaines, tous les jours, toutes les heures, tout ce qui se déroule sous nos yeux et qui a du sens, comme Kouassi s’est engagé à nous laisser faire.
Si ce n’est que ce soir là, le suspect résiste, n’avoue pas et Kouassi, énervé, nous ordonne d’éteindre notre lampe et de partir “vous êtes l’Onu pour lui”… et sous entendu “tant qu’il verra que vous êtes là il résistera et ne parlera pas”.
Nous n’avons pas éteint notre lampe et avons continué à filmer.
Pas par provocation, pas par défi.
Par devoir.
Garder les yeux ouverts.
Et transmettre.
Quelques mois plus tard, le montage achevé, le commissaire Kouassi est venu voir le film.
A la sortie de la projection, il a dit “c’est bien” et il est rentré à son hôtel.
Abattu.
Il ne s’était jamais vu.
Il se découvrait.
Comme devant un miroir.
Nous, journalistes, photographes, documentaristes, sommes modestement cela : un miroir et un Onu local.
Imagine-t-on aujourd’hui un monde sans Onu ?
Imagine-t-on aujourd’hui une société sans miroir ?
Non.
Sauf dans des régimes autocratiques sans Foi ni Loi.