Savoirs situés
Avec Myriam Dao (artiste), Maryam Tafakori (cinéaste et performeuse) et Diana Allan (cinéaste et anthropologue)
Richard Dumy (doctorant SACRe) présentera son travail en ouverture du Festival parlé
La table ronde sera animée par Alice Leroy (chercheuse en études visuelles et critique aux Cahiers du cinéma)
«D’où parles-tu ?» Lancée comme un anathème dans les assemblées générales en 1968, la question visant à situer le contexte de l’énonciation avant même son contenu assignait d’emblée la légitimité d’un propos à celle du positionnement de son auteur. Positionnement théorique et politique, mais aussi social, puisqu’on n’était jamais plus légitime à parler que de sa propre condition. À partir du milieu des années 1980, les théories féministes du positionnement ont, elles, eu pour effet de nuancer cette articulation entre savoir et pouvoir, en mettant au jour les rapports de domination à l’œuvre dans toute entreprise d’énonciation d’un discours, domination qui n’était jamais seulement sociale mais aussi patriarcale et occidentale. Contre la doctrine de l’objectivité scientifique, la philosophe Donna Haraway enjoignait ainsi à refonder la connaissance depuis une perspective « encorporée » et «localisée ». Elle opposait ce qu’elle appelait des «savoirs situés» à toutes les « doctrines idéologiques d’objectivité scientifique désincarnée ». Il s’agissait dès lors d’avoir conscience du lieu d’où l’on parle, mais aussi du corps, genré, racisé, historicisé, à travers lequel on parle. L’histoire des formes documentaires, au cinéma en particulier, hérite d’autant plus de ces débats qu’elle s’écrit encore depuis une certaine mythologie de l’objectivité : on continue d’attendre d’une œuvre documentaire qu’elle témoigne fidèlement d’une réalité vécue par celles et ceux qu’elle représente, en vertu d’une certaine éthique du savoir et d’une quête de vérité qui anime son ou ses auteurs. On écoute encore des commentaires détachés expliciter le sens des images ou une écriture anonyme énoncer l’histoire ou les conditions d’existence d’un groupe humain sans préciser la relation qui lie celui ou celle qui raconte à celles et ceux qui sont ainsi racontés. Mais si l’objectivité n’était qu’une vision erronée de l’histoire protéiforme et des infinies nuances d’énonciation des écritures documentaires? Et s’il n’y avait ni neutralité du regard ni observation distante mais bien différentes manières de se rapporter à des situations et des états du monde ? Et si la forme documentaire, plus que toute autre, s’inscrivait dans une histoire critique et réflexive de nos propres corps et expériences?
Consacrée à l’actualité des «savoirs situés», la sixième édition du festival parlé s’interroge sur ce qui fonde la légitimité à s’exprimer depuis une identité, une histoire, une expérience, personnelles ou collectives. Cette année, trois invitées, travaillant entre les domaines de la création cinématographique, de la recherche en anthropologie, de l’architecture et de l’écriture littéraire, proposeront une série d’interventions performées suivie d’une table ronde. Comme chaque année, le programme doctoral SACRe nous accompagnera lors de cette journée d’échanges.
Alice Leroy
Depuis sa création, le Festival parlé accueille les performances, projections et interventions des artistes-chercheurs du programme doctoral SACRe, partenaire de Cinéma du réel.
L’ensemble des discussions et des propositions artistiques donne lieu à une publication aux Éditions de l’Œil.