In the Manner of Smoke
La rêverie et l’observation tissent des liens entre un guetteur d’incendie en Californie et un peintre paysagiste à Londres. Une réflexion à propos de l’impact de la technologie des médias sur les représentations des incendies de forêt ainsi que sur l’expérience de l’observation par ses propres yeux.
« Il y a de la réalité dans l’image cinématographique, mais une réalité à distance », écrit Gilberto Perez dans The Material Ghost. « Si la réalité contribue à l’impact et à la conviction, c’est l’éloignement qui permet à la forme et au sens d’exercer leur artifice sur les choses représentées. » Quel meilleur endroit pour un film qu’une tour de guet ? Armand Yervant Tufenkian s’inspire ici de sa propre expérience de guetteur d’incendie dans la forêt nationale de Sequoia en Californie. Réalisé entre 2018 et 2025, In the Manner of Smoke prend la forme d’un de ces rapports de fumée transmis aux centres de communication d’urgence quand un incendie potentiel est repéré. Narré d’une voix proférée depuis quelque poste radio, le film entrelace un documentaire sur une guetteuse d’incendie, Kathy, lisant sur des photographies prises depuis leur station baptisée Delilah les traînées noires du « Rough fire » dévastateur de 2015 ; une collaboration avec un peintre anglais, Dan Hays, qui reproduit ces images dans son studio londonien sur un mode néo-impressionniste et pointilliste ; et une autofiction où le narrateur revient sur son expérience de vigie solitaire, le regard vacillant comme regardé à son tour, pris dans une forme paranoïde de récit auquel le cinéma hollywoodien nous a habitués, mais pointant lui aussi dans le remplacement de l’observation à l’œil nu par des dispositifs numériques dans la prévention des incendies, la réalité d’un monde post-digital. Ce qui l’y a mené est le désir de consacrer sa vie à regarder un horizon immobile de potentialités. Peut-être, comme Kathy à qui le journal a consacré un article intitulé « Grieving in the Lookout », ce narrateur finit-il pris entre hantises et présages, avec un désir de fumée. Mais celle-ci n’est-elle pas ce qui permet de trouver distance et profondeur dans la platitude des images, depuis le sfumato de De Vinci ?
Antoine Thirion
Armand Yervant Tufenkian
Il est né en 1988 de parents originaires d’Alep, en Syrie. Il a fait des études supérieures à l’Université Duke, avec une thèse sur la poétique de la communauté au cinéma, et a étudié la réalisation à CalArts. Il a notamment réalisé In Lightning Agnes (2014) et Accession (2018). Il est actuellement chargé de cours au département cinéma de l’université de Binghamton (SUNY).
Armand Yervant Tufenkian
Armand Yervant Tufenkian
Julian Flavin
Armand Yervant Tufenkian
Armand Yervant Tufenkian / armandtufenkian@gmail.com