Le Voyage à Lyon
Elisabeth, jeune historienne allemande, se rend à Lyon. Sur les traces de Flora Tristan, socialiste et féministe du XIXe siècle, elle parcourt la ville, équipée d‘un magnétophone, cherchant à reconstruire la réalité de ce qu’a pu voir et percevoir Flora, découvrant ainsi dans les sons et les bruits, dans les visages et les façades les couches de l‘histoire. Un professeur d‘histoire tente de la ramener sur le chemin de la science, mais elle se libère de la rigidité universitaire et, à la recherche du temps perdu, retrouve son propre présent et celui de la ville de Lyon.
Ce qui s’impose au spectateur est le passage du temps. Le Lyon décrit par Flora Tristan a de nombreuses fois changé de visage depuis la fin de l’ère industrielle. À la place, on assiste à la torpeur d’une ville au rythme estival ralenti dont les stigmates du monde ouvrier sont encore visibles dans certains quartiers délabrés de la Croix-Rousse. Au hasard des déambulations d’Élisabeth, on longe des terrains vagues, des immeubles éventrés, des rues lépreuses sous la rumeur et éclats de voix de rares passants qui n’ont pas la possibilité de partir en vacances. Une promenade au bord des berges de la Saône aux herbes flottantes dans le courant et la jeune femme accroupie se laissant bercer par le clapotis apportent une touche bucolique et poétique.
Le Lyon qui se redécouvre à travers le grain sensible et le format carré du 16 mm est bien loin de ressembler à la ville coquette d’aujourd’hui. Élisabeth fait aussi des rencontres, prétexte à une galerie de personnages plutôt savoureuse. Utilisant la méthode documentaire, la plupart des personnes croisées sur sa route incarnent leur propre rôle. Une bouquiniste commente des gravures anciennes ; un canut dans son atelier, sous le bruit assourdissant de sa machine à tisser, détaille ses conditions de travail et ses horaires à rallonge ; quelques habitués d’un restaurant populaire, sorte d’estaminet, tapent le carton et s’invectivent affectueusement pendant que la tenancière évoque une rafle de Juifs par la Gestapo dans le quartier et raconte sa propre vie, etc.
[…] Cette façon de procéder n’est pas sans rappeler le chef-d’œuvre d’Alain Tanner, Dans la ville blanche, réalisé un an plus tard, en 1982. Calqué sur le même principe, celui d’un personnage qui déserte sa vie et ses proches pour se perdre dans une ville inconnue, Bruno Ganz, le marin perdu, filme ses promenades dans Lisbonne avec sa caméra Super 8. Tout comme Élisabeth enregistre le son de ses pas avec son magnétophone. La ville reste en filigrane le véritable sujet, vampirique et hypnotique, qui engloutit cette femme en crise traversant ses ruelles labyrinthiques. Ce que capte Claudia von Alemann, en définitive, est un instantané de Lyon, de ses habitants. Aujourd’hui ressuscités sous nos yeux curieux, ils libèrent comme le charme précieux contenu dans les archives d’un monde à jamais enfoui.
Hélène Joly (Cinechronicle.com, février 2021)
Alemann Filmproduktion
Hille Sagel
Auguste Galli, Alain Champelouvier, Julien Malier
Monique Dartonne
Frank Wolff
Institut Lumière - marnaud@institut-lumiere.org