Leaving Amerika
Un matin, mon ami Derrick m’appelle depuis Miami : il m’annonce qu’il veut quitter les États-Unis. Il vient de laisser son appartement et dort dans sa voiture. À presque 50 ans, il se débat encore dans le labyrinthe cauchemardesque d’une Amérique ultralibérale et raciste à la recherche d’une issue.
Amerika, comme chez Kafka – un cauchemar, donc. Celui qui est connu depuis longtemps (il est largement documenté) comme envers du dream national, mais qu’on a vu prospérer depuis vingt ans dans des proportions effarantes. Derrick Johnson, avec qui le film entretient un long et beau dialogue, songe à quitter le pays pour ne pas basculer définitivement dans ce gouffre, où d’autres (souvent comme lui : ni blancs, ni riches) tombent chaque jour. Pour tout home, il lui reste une voiture, et une poignée d’effets personnels répartis dans des boxes – Derrick est displaced, comme on dit là-bas, et donc en quelque sorte déjà parti, puisque toléré seulement comme fantôme. Leaving Amerika le cueille à ce carrefour, soumis à l’exigence du bilan, racontant son parcours mais surtout, vaquant, s’occupant à régler des problèmes pratiques, à revoir sa famille, bref à réunir les conditions d’un départ. Épousant ces trajets, le film documente moins qu’il ne prend des nouvelles, et ce d’autant plus littéralement que l’empathie pudique régnant ici est pour partie l’effet d’une amitié réelle, quoique lointaine, entre le personnage et la cinéaste. Jamais précisément décrite, ni éclairée par ses origines, cette relation vaut surtout comme une juste distance offerte au spectateur, qui ne demande au fond jamais plus à un documentaire que quelques nouvelles amicales du monde.
Jérôme Momcilovic
Lire l’entretien avec Marie-Pierre Brêtas
Née à Toulouse où elle grandit, Marie-Pierre Brêtas passe une partie de son enfance à Oran, où ses parents partent travailler en pleine effervescence post-indépendance, puis à Thiais, en banlieue parisienne. Après une hypokhâgne et un passage à la Sorbonne, elle devient journaliste au Matin de Paris, pige pour différentes publications, dont Actuel.
Elle s’installe ensuite à New York où, durant trois ans, elle enchaîne les petits boulots: femme de ménage, cuisinière au Chelsea Hotel, assistante à la déco sur des tournages, dont un dernier film de Paul Morrissey. Passionnée de cinéma depuis petite, elle retourne à Paris, s’essaye à la réalisation en autodidacte et se forme aux IIIS puis aux Ateliers Varan. Elle co-réalise alors pour Arte Mon travail c’est capital sur la fermeture d’une usine Moulinex.
Mariée au peintre brésilien Marcos Brêtas, elle tourne dans le Nordeste La Campagne de Saõ José, sélectionné au FID de Marseille et Grand Prix du Fidadoc, puis Hautes Terres, mention spéciale du Jury au Cinéma du Réel en 2014 et distribué en salle.
En 2022, elle présente La Lumière des rêves en compétition à Cinéma du réel.