Regarde avec mes yeux et donne-moi les tiens

Tournée dans l’atelier de Georges Braque en Normandie, aujourd’hui envahi par la nature, l’histoire de ma rencontre avec un oiseau tout droit sorti de la magie du conte.

Dans sa récente série Blue with Exceptions, le photographe américain John Divola insère un portrait d’oiseau généré par une intelligence artificielle dans des bâtiments délabrés, présence spectrale faisant écho à ces canaris jadis sacrifiés dans les mines pour y anticiper les coups de grisou, et passés depuis dans la langue anglaise comme l’expression proverbiale d’une mise en garde. D’une manière purement fortuite, le nouveau film de Noëlle Pujol produit une imagerie similaire, nous invitant elle aussi à une plus grande sensibilité esthétique et environnementale. Ce n’était pourtant pas ce qu’elle était venue chercher dans le sous-bois pépiant où sa caméra nous introduit, mais l’atelier de George Braque à Varengeville-sur-Mer, dont on peine à croire l’état d’abandon. On songe presque à l’un de ces faux found-footage populaires du cinéma d’épouvante abritant une présence fantôme oubliée – l’artiste Julien Audebert, qui a consacré une série à ce lieu il y a une dizaine d’années, le qualifiait d’ailleurs d’atelier interdit. Pujol y pénètre à pas feutrés, saisie par tous les signes d’une occupation ancienne. Son regard minutieux finit par remarquer la présence d’un passereau, sous les verrières depuis lesquelles Braque observait des oiseaux pour les peindre. Si l’on sait combien ce motif, que le peintre introduisit à la fin des années 1940 dans sa série des Ateliers, est devenu cher à ses yeux vers la fin de sa vie, la rencontre que documente Pujol n’en est que plus riche et émouvante : c’est la survivance de l’art dans la lumière de son tombeau.

Antoine Thirion