Silence of Reason
Les expériences singulières de violence et de torture vécues par les femmes violées dans les camps de Foča pendant la guerre en Bosnie-Herzégovine deviennent nos mémoires collectives, dépassant le temps et l’espace.
Cela commence lorsqu’il est déjà trop tard : dans la Drina, des corps de femmes qui ne peuvent plus raconter de quelle série d’exactions leur immersion dans le fleuve marqua la conclusion. À l’écran, des images VHS et photos utilisées comme pièces à conviction dans le cadre d’un procès historique en 2000 tremblotent comme des spectres. Le film rend à la mémoire sa nature précaire, vacillante, non pour remettre en question les souvenirs des femmes dont il relaie les témoignages, mais pour montrer que ce qui survit est entouré de ruines. La parole, orale ou écrite, n’en est pas moins nette : elle décrit les lieux, les actes, et nomme ceux qui les ont commis, lorsque cela est possible. Regroupées dans des camps, mères et filles furent violées quotidiennement, et ce pendant des années. Ce que révèlent plus profondément les témoignages, c’est que l’innocence est l’exception, comme le suggérait déjà la citation liminaire de Hannah Arendt, penseuse de la banalité du mal. Collectifs et organisés, les actes commis apparaissent dans leur caractère systémique, fruits putrides d’une culture misogyne. Des faits eux-mêmes, les seules images qui subsistent sont mentales : ils ont été soigneusement invisibilisés. En même temps qu’il relate ces actes de barbarie, le film documente une action collective pour transformer l’avenir : même voilée sous des initiales, numéros et effets de distorsion, la parole des victimes garde sa pleine puissance, et depuis le bruit blanc qui habite le film, elle traverse le temps.
Olivia Cooper-Hadjian
Lire l’entretien avec Kumjana Novakova
Kumjana Novakova, réalisatrice, travaille également comme conservatrice de films et conférencière. Née en Yougoslavie, elle travaille dans le domaine du cinéma et des arts depuis 2006. Sa formation combine des études en relations internationales, en recherche culturelle et sociale à Sofia, Sarajevo, Bologne et Amsterdam. En 2006, elle a cofondé le festival du film Pravo Ljudski à Sarajevo, dont elle est la conservatrice en chef. Elle a dirigé le département cinéma du musée d’art contemporain de Skopje de 2018 à 2021. Son film Disturbed Earth (coréalisé avec G.C. Candi) a été sélectionné pour les Oscars.
Medea
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