Six Knots

Pour réduire le bruit ambiant à l’approche d’un cétacé, un navire ne doit pas dépasser six nœuds. Symbole de longue date de la distance entre l’homme et l’animal, la baleine est un objet de mystère, de fascination et d’exploitation.

Six nœuds, c’est la vitesse nautique maximum recommandée à l’approche d’une baleine. Six, comme le nombre de chapitres qu’Ali Vanderkruyk déploie autour d’une fascination pour le mammifère mythique – la même obsession à l’origine d’œuvres qui se sont élevées à leur mesure géante, en premier lieu Moby Dick dont une citation ouvre le film. Dans cette distance recommandée pour protéger les baleines, émerge une matière visuelle et sonore d’une richesse et d’une hétérogénéité impressionnantes : archives de campagnes de chasse, scientifiques transportant des cadavres, IRM et scanners LIDAR utilisés pour comprendre comment les baleines meurent ; gravures, squelettes, découpes en tout genre. En l’absence quasi complète d’images de baleines vivantes, c’est de ce rapport de capture dont Six Knots parle avant tout : comment elles ont été prises dans les filets de pêche autant que dans les rets de la science, proies directes ou victimes collatérales d’un rapport extractiviste au vivant. Les six chapitres correspondent à autant d’approches dans l’étude de la mort et de la conservation des cétacés sur la côte ouest du Canada ; autant de manières de pointer des empiètements d’ordre scientifique, industriel, militaire ou colonial sur leur existence, mais d’interroger aussi le documentaire sur une dynamique d’exploitation similaire vis-à-vis de ses sujets. Célébrer la distance donc, au travers d’une forme complexe et précise et d’une structure ouverte et fragmentée, pour dépêtrer le regard des visées prédatrices, défaire quelques nœuds et libérer les mystères des images qui prétendent les capturer.

Antoine Thirion

Lire l’entretien avec Ali Vanderkruyk