Yvon
Yvon nettoie des poussières invisibles, compte pour se rassurer, parle beaucoup, hurle de colère et écrit pour se calmer. Sa retraite est imminente et avant de quitter son logement de fonction, il revisite sa vie de décontamineur dans les centrales nucléaires. Yvon commence à écrire son histoire.
Yvon a des crises d’angoisse. Et il y a peut-être plus salutaire que le Xanax pour déblayer les scories d’une vie passée à décontaminer, avec une chiffonnette pliée en quatre, les piscines de stockage de combustibles nucléaires : il y a la parole. Yvon n’aime pas le silence. Il se met à écrire, à voix haute, recueilli comme en prière sur son ordinateur car son combat et son entrée dans le syndicalisme ont coïncidé avec l’apprentissage du clavier : ses premiers tracts, d’abord trop longs, puis plus concentrés et efficaces. Sa recherche du mot juste pour les slogans de la CGT et, à présent, pour décrire les séances de recrutement des sociétés de sous-traitance d’EDF – véritables « foires aux bestiaux » – , pour dire les doses radioactives accumulées au bout de ses doigts, au fil des tris de déchets. Marie Tavernier, qui l’avait rencontré parmi d’autres décontamineurs pour son film À ma mesure (2017), accompagne au plus près de la mémoire et du texte l’émergence de ce dont Yvon doit se délester, afin de s’apaiser. Si les mots peuvent libérer la tête, le corps, stigmate de ces quarante ans d’enfouissement, ne permettra sans doute pas aux rayonnements de s’extraire à la surface et Yvon n’en est pas dupe. Mais irradié par l’exploitation ouvrière, il faut que fuse sur l’écran blanc de son ordinateur le trop-plein qu’on lui a demandé toute sa vie d’absorber, afin que sa chair ne reste pas l’unique réceptacle, la seule trace des errances de la société du progrès.
Christian Borghino
Marie Tavernier
Réalisatrice de films documentaires, dont Délaissé (2009) et À ma mesure (2018), développé lors d’un atelier d’écriture à la FEMIS. Montrés dans différents festivals (Festival dei Popoli, Les rencontres du film documentaire, Films de femmes, Les états généraux du film documentaire, Interférences, Le Mois du Doc …), ses films travaillent la poésie des marges et des interstices.
Elle est aussi monteuse de nombreux films documentaires dont Les Messagers d’Hélène Crouzillat et Laetitia Tura, Enfermés mais vivants de Clémence Davigo, Avec les mots des autres d’Antoine Dubos, et récemment L’Effet Bahamas d’Hélène Crouzillat.
Elle est également auteure de créations vidéo pour le théâtre comme Mords la main qui te nourrit, de Daniel Mermet, Asservissement sexuel volontaire de Pascal Rambert, Revenir de Barbara Bouley.
La Société des Apaches
Tangente Distribution
Marie Tavernier, François Chambe
Benoit Perraud
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Damien Cluzel
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